Ces éoliennes qui troublent le lait des vaches
Par Delphine de Mallevo le Figaro 17 septembre2015
Source : http://premium.lefigaro.fr/actualite-france/2015/09/17/01016-20150917ARTFIG00286-ces-eoliennes-qui-troublent-le-lait-des-vaches.php
Un rapport d'expert démontre un lien de causalité entre la baisse significative de la production du cheptel d'un exploitant agricole de la Somme et le parc éolien voisin.
Les éoliennes feraient tourner le lait des vaches. C'est en tout cas la conviction de Yann Joly, exploitant agricole près d'Amiens, dans la Somme, qui assigne un opérateur éolien en justice devant le TGI de Paris. Depuis l'installation d'un parc de 24 éoliennes à proximité immédiate de son exploitation, en 2011 et 2013, l'agriculteur a constaté une baisse sensible de sa production laitière ainsi qu'une dégradation de l'état sanitaire du cheptel.
Les 120 vaches, jusqu'alors paisibles et «rentables» sur leurs quelque 65 hectares de terre, présentent des troubles variés depuis l'installation des géantes de fer, conduisant à une nette baisse de productivité et de résultats financiers pour cette société civile laitière familiale. Le préjudice, bien tangible à en juger par les bilans d'exploitation, et le lien de causalité entre la prospérité des unes et l'étiolement des autres sont pour la première fois démontrés dans un rapport d'expert, que le Figaro s'est procuré.
Baisse de la consommation d'eau du cheptel
Dans ce document, l'ingénieur en agriculture Christiane Nansot, expert agricole et foncier près la Cour d'appel d'Amiens, atteste que la production laitière de ce cheptel est affectée par une baisse sensible de leur consommation d'eau depuis l'édification des éoliennes. Or la consommation d'eau et la production de lait sont corrélées, comme l'attestent la littérature médicale vétérinaire.
La qualité de l'eau ou tout autre facteur ne sont pas en cause, comme le révèlent les nombreux tests, recherches et analyses effectués pendant des mois par les professionnels. «Le technicien du contrôle laitier, le vétérinaire, le marchand d'aliments n'ont pas trouvé de raisons rationnelles», dit le rapport qui estime ce seul préjudice à 265.908 euros. Le géobiologue Arthur Revel a conclu lui-même à «une dégradation des ambiances de nature à stresser durablement
le cheptel bovin et à pénaliser la production laitière».
Problèmes de croissance pour les génisses
L'expert près les tribunaux relève par surcroît que «le constat de baisse de productivité ne porte pas que sur la production laitière» mais «également sur la croissance des animaux». Les pesées régulières montrent un «manque de gabarit des génisses au vêlage», «un retard de croissance, notamment dû à un manque de consommation d'eau et d'aliments», dit Christiane Nansot.
«Il en ressort une perte de GMQ (gain moyen quotidien, NDLR) de l'ordre d'un tiers, cela veut donc dire que pour qu'une génisse actuellement dans cet élevage atteigne sa taille normale, il lui faudra 50 % de temps en plus qu'un animal ayant une croissance normale», précise-t-elle en évaluant le coût de ce manque de gain de croissance à 91.000 euros.
«Il n'y aura pas d'autre remède que soit déménager l'élevage sur un autre site, soit une indemnisation (de l'agriculteur)pour arrêt de la production laitière permettant de couvrir le coût des investissements réalisés»
Christiane Nansot, expert agricole et foncier près la Cour d'appel d'Amiens
Elle note aussi une augmentation des mammites, une affection courante de la mamelle des vaches laitières, et une «qualité bactérienne du lait qui se dégrade». Des pertes «qui se sont amplifiées au fil des années», observe-t-elle.
«Miné par ce gâchis», l'éleveur réclame aujourd'hui 356.900 euros à l'opérateur éolien. «Au début de ce projet éolien, mon client y était favorable, c'est dire sa bonne foi et son absence de parti pris idéologique!», commente Me Philippe Bodereau, avocat de l'agriculteur. Yann Joly demande aussi à la justice «le démantèlement, voire la démolition, des éoliennes litigieuses», dit l'assignation.
«Il n'y a pas de solution magique pour inverser la tendance tant que les éoliennes resteront implantées», conclut Christiane Nansot, et «il n'y aura pas d'autre remède que soit déménager l'élevage sur un autre site, soit une indemnisation pour arrêt de la production laitière permettant de couvrir le coût des investissements réalisés».
À ce jour, qu'il s'agisse du bruit ou des champs électromagnétiques, aucune étude n'est scientifiquement venu établir que les éoliennes avaient un impact nocif sur les animaux, même si de nombreux scientifiques admettent des «zones grises» et reconnaissent des nuisances, notamment sur les «zones de faille».