Le désastre de la transition énergétique

"Si une centrale nucléaire détruisait autant d’environnement naturel que l’énergie éolienne, elle aurait été mise à l’arrêt depuis bien longtemps. "

"Le rêve d’une certaine élite urbaine de disposer d’une source d’énergie soit-disant propre est propagé sur le dos de la population rurale, dont on détruit le patrimoine."

"les Verts n’étaient en fait jamais réellement un parti au service de la protection de la nature mais un parti anticapitaliste, engagé contre l’énergie nucléaire et l’industrie. C’est pour cette raison que les thématiques réelles de la faune et de la flore les laissent indifférents. "

Interview de l’ancien politicien de l’environnement et manager en entreprise énergétique Fritz Vahrenholt  (Article du Basler Zeitung – 18 février 2017)


  • Vous appelez le tournant énergétique allemand « un désastre ». Pourquoi ?

Fritz Vahrenholt : Pour commencer, le gouvernement allemand a décidé en l’espace d’un weekend – suite au tsunami au Japon – de renoncer à l’énergie nucléaire qui produisait jusque-là l’essentiel du courant pour l’industrie allemande. Depuis, le gouvernement veut remplacer cette source d’énergie à production stable par du courant solaire et éolien, soumis à de fortes variations de production. Chacun comprend que cela n’est simplement pas raisonnable.

  • Moi, je ne comprends pas. Expliquez-moi.

Nous avons de cinquante à cent jours, parfois plusieurs semaines par année, des périodes de calme plat, et à faible ensoleillement. Durant ces périodes, nous produisons moins de 10 % du courant nécessaire. Et si le vent souffle et le soleil brille, il y a trop de courant dans le circuit puisque les capacités de stockage manquent, alors nous débranchons des éoliennes. Nous sommes confrontés à un problème croissant : trop, ou trop peu d’électricité.

  • Pourquoi le problème est-il croissant ?

Parce qu’avec chaque nouvelle production d’un courant aussi instable, soit avec chaque nouvelle éolienne et avec chaque nouvelle cellule photovoltaïque, les écarts de production augmentent.
Commençons par le commencement : l’énergie nucléaire n’a pourtant pas d’avenir.
C’est une décision politique, quand bien même aucune crainte sérieuse n’était émise à l’égard des centrales nucléaires allemandes.
En Suisse, il est prévu de laisser fonctionner les centrales nucléaires tant que leur niveau de sécurité le permet. C’est une solution intelligente. Ainsi, vous gagnez du temps, jusqu’à ce que des capacités de stockage suffisantes soient développées, peut-être.


  • Et les déchets radioactifs ?

La question du stockage des déchets radioactifs est complètement indépendante d’un fonctionnement sur 30, 40 ou 50 ans d’une centrale nucléaire. Après Fukushima, seules la Suisse et l’Allemagne ont décidé le tournant énergétique. Même le Japon mise à nouveau sur l’atome et le charbon. En 2022, la dernière centrale nucléaire allemande sera arrêtée et aucune production d’électricité ne sera plus garantie dans le sud de l’Allemagne. Nous dépendons de plus en plus des forces de la nature, d’autant plus si nous renonçons encore aux centrales à gaz et à charbon.

  • En quoi cela est-il mauvais ?

Je n’ai rien contre l’énergie solaire ou éolienne si elle permet de produire un courant sûr, fiable, de manière économique. Mais cela ne sera le cas qu’une fois la question du stockage réglée. Vous devez transformer les forces de la nature en source fiable d’énergie.
Il suffit d’avoir suffisamment de centrales solaires et de production éolienne.
Non, même en triplant la capacité éolienne, la production par calme plat est proche de zéro. Idem pour le solaire, en particulier la nuit. L’éolien ne produit en électricité que l’équivalent de 90 jours par année à puissance maximale. Pour le photovoltaïque, ce sont l’équivalent de 35 jours. Par conséquent, il est évident qu’une production fiable est ici impossible tant que la question du stockage n’est pas réglée.

  • Pourquoi est-ce si important ?

Il faut se rendre compte de ce que fournit le système. En cas de besoin en électricité quelque part, le courant doit être livré dans la même seconde. Si, un soir d’hiver, les projecteurs du FC Bâle sont enclenchés, le courant supplémentaire doit être disponible instantanément. Avec la production éolienne ou solaire, cette montée en puissance immédiate n’est pas possible.

  • Qu’est-ce que cela signifie?

Lorsque le soleil brille ou le vent souffle, nous produisons trop de courant en Allemagne. Nous bradons alors ce courant à l’étranger, à prix négatifs souvent. Du fait de la priorité du courant vert, ce sont d’abord les centrales conventionnelles à gaz ou au charbon dont la production est réduite, puis des éoliennes, qui sont alors payées tout en ne produisant pas. Entre-temps, cela nous coûte un milliard d’euros par an, c’est absurde ! Encore une fois : les nouvelles énergies ne seront une source fiable qu’une fois le problème du stockage du courant résolu.

  • Il existe déjà de telles technologies ?

Oui, il existe des possibilités, comme le pompage-turbinage, avec des lacs de retenue. L’eau est pompée dans le lac de retenue pour entraîner une turbine lorsque le courant est nécessaire. Or, rien que pour faire face à un calme plat de quatre jours, il faudrait pomper le lac de Constance à un bon niveau pour y faire face (500 km², profondeur 100 m).

  • Pourquoi cela n’est-il pas possible avec des batteries ?

Cela sera peut-être possible un jour. Alors, les sources irrégulières que sont l’éolien et le solaire auront une chance. Aujourd’hui, le prix est trop élevé – quelques 20 centimes d’euros par kWh – auxquels s’ajoutent les coûts du courant et les taxes. Seuls les ménages aisés peuvent financer un tel luxe. Toute utilisation industrielle de l’électricité devient impossible avec de tels niveaux de prix.
En Suisse, nous avons beaucoup de stations de pompage-turbinage. Elles ont été rentables durant des années. Actuellement, elles ne dégagent plus aucun bénéfice.
La raison de cette situation se trouve dans la production débridée et incontrôlée du courant éolien et solaire en Allemagne. Par temps venteux, nous poussons notre surproduction vers nos voisins à travers les frontières. Ce courant est en effet déjà payé à sa production via les subventions étatiques. Donc, il ne nous coûte rien et a même un prix négatif. Les stations de pompage-turbinage, elles, ont besoin d’un prix de 8 centimes d’euros pour survivre économiquement. Voilà quel est le grand dilemme pour la Suisse. De ce fait, sa production nationale – pour ainsi dire exempte de CO2 – est soudainement remise en question.
Cette surproduction met en danger notre production hydroélectrique.
Nous avons en Allemagne 50 000 mégawatts de capacité de production éolienne. Si toutes ces capacités produisent, les centrales à charbon et à gaz doivent réduire leur production, puis l’éolien, faute de quoi, le système menace de s’effondrer. Si tout cela ne suffit pas, notre production est envoyée par-delà les frontières, détruisant la capacité de production de nos voisins. À l’inverse, ce sont nos voisins qui doivent nous aider lorsque le vent ne souffle pas chez nous. La Pologne ne tolère plus un tel système et a installé des oscillateurs à déphasage à sa frontière pour être en mesure de réguler l’arrivée de la surproduction allemande. Les Tchèques prévoient de faire de même.

  • La Suisse pourrait-elle faire de même ?

Je peux imaginer que le débat ait lieu un jour en Suisse et que l’on s’interroge : « Est-ce à nous de porter les conséquences de la politique énergétique arrogante et irréfléchie de nos voisins allemands ? » Il est possible que certains, en Suisse, répondent par la négative. Je le comprendrais.
Mais alors, la Suisse devrait être autosuffisante, ce pourquoi de nouvelles centrales à gaz seraient nécessaires.
Lorsque des centrales nucléaires sont débranchées du réseau, des centrales à gaz, flexibles, doivent prendre le relais. Or, la politique énergétique allemande, avec le tournant énergétique, a rendu le courant produit avec le gaz non rentable, du fait de la surproduction. Une centrale à gaz moderne, en Bavière, a dû fermer un jour après son inauguration, car non rentable.

  • Parlons argent. Le courant devient toujours plus cher pour le consommateur, et toujours meilleur marché sur le marché international. Comment est-ce possible ?

C’est très simple : le courant solaire et éolien est toujours encore deux à trois fois plus cher que le courant conventionnel. Pour corriger cette différence, une taxe est perçue auprès du consommateur et distribuée aux producteurs de courant éolien et solaire. Chaque entrepreneur éolien ou solaire touche une indemnisation pour le courant produit, lui garantissant une rente juteuse sur 20 ans. Ainsi, le courant renouvelable est payé à l’avance et est injecté à un prix nul dans le réseau, repoussant le courant conventionnel du marché. De ce fait, les prix de l’électricité chutent en bourse. La combinaison de ces deux effets conduit à une augmentation du prix pour le consommateur privé.
Auparavant, on subventionnait simplement les centrales nucléaires. Le courant électrique a donc toujours été cher.
En Allemagne, les centrales nucléaires n’étaient pas subventionnées et je peine à me l’imaginer pour la Suisse. La recherche et le développement de l’énergie nucléaire par contre ont été subventionnés, ce qui ne semble pas problématique.
Et les risques ? Les centrales nucléaires ne devaient pas en assurer la totalité.
Ceci reflétait une décision politique et de société. Aujourd’hui, les choix seraient différents. Mais la question ne se pose pas, étant donné qu’il n’est pas possible d’exploiter de nouvelles centrales nucléaires de manière rentable.
L’alternative que vous proposez consiste à laisser fonctionner les centrales nucléaires plus longtemps et à miser sur le développement de capacités de stockage du courant électrique.
Si nous parvenons à développer des capacités de stockage économiquement rentables, nous serons en mesure d’utiliser des sources aussi fluctuantes que l’éolien et le solaire.
Selon, la question est de savoir dans quel ordre faire les choses ?
Exactement. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs et construire des centrales éoliennes et photovoltaïques alors que nous savons que ces technologies ne sont fiables qu’en lien avec une capacité de stockage qui nous fait défaut. Tout autre démarche me semble peu intelligente.

  • Quelles conséquences pour l’industrie ?

Aujourd’hui déjà, nous avons un déficit de production en Bavière et dans le Bade-Wurttemberg. Il est possible de contourner le problème en construisant des lignes depuis le nord. Cela durera cependant des années et coûtera très cher, du fait des oppositions aux lignes à haute tension aérienne. La Suisse et l’Allemagne sont proches l’une de l’autre. Une pénurie a également des effets en Suisse.
N’y a-t-il pas de réticences de la part de l’industrie ?
L’industrie intensive ne montre pas d’opposition, étant exemptée des taxes correspondantes – tout comme en Suisse. L’industrie de l’acier, la chimie, le cuivre, l’aluminium profitent même des prix très bas pratiqués sur le marché international. En réalité cependant, le système est dans l’ensemble devenu bien plus cher. Le prix est payé par les ménages et par les petites entreprises. Nous remarquons une tendance à la baisse des nouveaux investissements industriels. L’on n’investit pas dans un pays sans savoir quels seront les développements des prix de l’énergie. À côté des prix, c’est également la fiabilité de la production d’énergie qui compte. Cette fiabilité baisse un peu plus à chaque nouvelle éolienne installée.

  • Quels sont les dangers des éoliennes ?

J’ai moi-même fondé et développé une entreprise active dans l’éolien en l’an 2000. Je connais très bien cette technologie. Je n’aurais jamais osé imaginer prétendre qu’une telle source soit utilisable pour faire fonctionner un réseau ferroviaire. Nous devons tous en apprendre. L’énergie éolienne n’amène pas que des effets positifs. En Allemagne, une éolienne est planifiée en moyenne tous les 2,7 km alors que nous savons que des rapaces, des chauves-souris et d’autres espèces menacées disparaîtront à cause de ces éoliennes. Le milan royal est menacé. Les 26 principales espèces d’oiseaux sont en diminution. Les effets de l’éolien sur les espaces naturels sont énormes, tant pour les plantes que pour les animaux. Si une centrale nucléaire détruisait autant d’environnement naturel que l’énergie éolienne, elle aurait été mise à l’arrêt depuis bien longtemps.

  • Comment expliquer le silence des organisations de protection de la nature ?

La raison principale est la suivante : les Verts se sont fait du tournant énergétique un programme, quel qu’en soit le prix. En Allemagne, les Verts n’étaient en fait jamais réellement un parti au service de la protection de la nature mais un parti anticapitaliste, engagé contre l’énergie nucléaire et l’industrie. C’est pour cette raison que les thématiques réelles de la faune et de la flore les laissent indifférents. Bien évidemment, certaines organisations sont alignées sur cette ligne politique, tandis que d’autres organisations de protection de la nature prennent leur travail à cœur. Mais pour la première catégorie, le tournant énergétique est autrement plus important que la protection de la nature.

  • Mais il y des oppositions aux éoliennes.

Oui. Dans les régions rurales, le potentiel de résistance est énorme et provient des forces politiques bourgeoises. Cela me rappelle les débuts du mouvement antinucléaire, ironiquement. Aujourd’hui, la situation est la suivante : le rêve d’une certaine élite urbaine de disposer d’une source d’énergie soit-disant propre est propagé sur le dos de la population rurale, dont on détruit le patrimoine.

  • Économiquement, qui sont les gagnants, qui sont les perdants ?

Ceux qui sont subventionnés pour un toit solaire ou qui investissent dans des fonds dédiés à l’industrie éolienne ne proviennent le plus souvent pas des couches populaires. Les employés, les bénéficiaires de l’aide sociale, les locataires de maisons plurifamiliales sont ceux qui passent à la caisse et doivent financer les rentes étatiques de vingt ans garanties à ceux qui ont eu les moyens d’investir.

  • Vous esquissez deux directions de développement : continuer de trafiquer, ou corriger.

Nous allons devoir corriger , au plus tard après les premiers crashs du réseau. Plus cela dure, plus les difficultés augmentent. Si nous disposons, dans dix ans, d’un genre de superbatterie capable de stocker le courant au prix de cinq centimes d’euro par kWh, les choses rentreront peut-être dans l’ordre. Mais ceci serait de la politique reposant seulement sur une vague espérance. Je n’y mettrais pas ma main au feu et, en tant que politicien, je n’y forcerais encore moins un pays entier.
Traduction en français : PaL, le 6 mars 2017

Article du Basler Zeitung – 18 février 2017

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